Monsieur le Président, mesdames er messieurs les députés,
Je vous remercie de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui.
Je m’appelle Robert Asselin et je suis chef de la direction du U15 Canada, qui représente les 15 principales universités de recherche du pays. Ensemble, nos établissements réalisent plus de 75 % de la recherche universitaire au Canada, accueillent 70 % des doctorants à temps plein et génèrent une grande part de l’innovation nationale — qu’il s’agisse de brevets ou de partenariats avec le secteur privé. Collectivement, nos universités constituent un actif stratégique national : elles sont les fondations du talent, de la recherche et de l’innovation.
Nous vivons une transformation profonde de l’économie mondiale. L’ère du libre-échange sans entraves — celle où l’on croyait que l’ouverture des marchés garantirait la stabilité — est terminée. Partout, nous voyons réapparaître la coercition économique : des chaînes d’approvisionnement instrumentalisées, des technologies restreintes, des nations qui redéfinissent la prospérité à travers le prisme de la sécurité.
Dans ce nouveau contexte, l’économie et la sécurité nationale sont indissociables. La véritable compétition entre nations porte désormais sur la capacité à concevoir, produire et maîtriser les industries de pointe.
Comme le souligne le Special Competitive Studies Project de l’ancien PDG de Google, Eric Schmidt, le véritable pouvoir d’un pays réside désormais dans son innovation power — sa capacité à inventer, adopter et intégrer les technologies à grande échelle. Et comme l’a récemment écrit l’ancien ambassadeur américain Rahm Emanuel, aucune politique industrielle ne peut réussir sans une base solide et durable de recherche avancée. Il en va de même pour le Canada : la science et la recherche sont les fondements de la puissance économique au XXIᵉ siècle.
L’histoire regorge d’exemples où des menaces existentielles ont provoqué de grandes transformations. En 1957, le lancement de Spoutnik a été un choc pour les États-Unis. Leur réponse n’a pas été timide, mais transformatrice. Le président Eisenhower a créé la DARPA — l’agence américaine de projets de recherche avancée pour la défense. Ses innovations — du GPS à Internet — ont façonné la suprématie technologique et économique américaine. En 1962, le président Kennedy, dans son célèbre discours à l’Université Rice, a lancé une mission nationale pour faire des États-Unis un chef de file en science et en technologie.
Essentiel à ce succès : la place centrale accordée aux universités de recherche. Le partenariat entre la NASA et le Jet Propulsion Laboratory du Caltech est devenu un modèle exemplaire d’alignement entre l’État, la recherche universitaire et l’industrie — transformant l’excellence scientifique en capacité nationale et générant des retombées durables dans les domaines des matériaux, de la robotique, des communications et de la défense.
Le Canada se trouve aujourd’hui à un moment charnière. Nos grandes universités de recherche — le U15 — figurent parmi les meilleures au monde. Elles forment un talent exceptionnel et produisent des découvertes de pointe. Pourtant, trop souvent, nos percées sont mises à l’échelle ailleurs, faute d’une stratégie coordonnée reliant la découverte à l’application, et la recherche à l’avantage industriel.
Cette faille — l’incapacité à relier notre puissance scientifique à nos objectifs nationaux — constitue le talon d’Achille de la politique industrielle canadienne.
La création de Borealis, la nouvelle plateforme canadienne d’innovation en défense, offre une occasion de changer la donne. Borealis peut devenir notre équivalent de la DARPA : un mécanisme permettant de transformer la recherche avancée en technologies concrètes pour les Forces armées canadiennes et pour nos industries de pointe.
Mais il faut agir avec ambition. Nous devons relier toute la chaîne : le talent et le capital intellectuel, la recherche fondamentale, la commercialisation et la commande publique.
Les industries de pointe ne sont pas seulement des moteurs de productivité — elles sont les fondations mêmes de notre sécurité nationale. À l’ère de l’intelligence artificielle, des outils cyber et des systèmes autonomes, le Canada ne peut se contenter de demeurer un simple importateur de technologies étrangères.
Certes, le Canada n’est pas les États-Unis. Notre échelle est différente. Mais la leçon à tirer n’est pas celle de la taille, c’est celle de l’alignement. Lorsque l’excellence en recherche, la capacité industrielle et les politiques d’approvisionnement public convergent, les capacités souveraines émergent.
Si nous réussissons cet alignement, nous renforcerons notre sécurité, stimulerons l’innovation et bâtirons les fondations technologiques de la prospérité canadienne pour les décennies à venir.
Je vous remercie, et je serai heureux de répondre à vos questions.